jspquoidire reviewed La Grande Beune by Pierre Michon
La Grande Beune, j'ai pas de jeu de mot en tête dsl
2 stars
Content warning CW sexe, sexisme + spoiler
C'est l'histoire, racontée rétrospectivement et à la première personne par le narrateur, d'un instituteur qui fait sa première année dans un village en milieu rural (j'ai plus le bouquin avec moi, mais c'est dans la Creuse il me semble). Il y vit en pension chez une tenancière comme il n'en existe plus où passent les habitants et notamment les pêcheurs du coin. Le centre du récit est la tenancière du café tabac du village, Yvonne. Pour le dire vite, le narrateur brûle de désir pour elle, trouve improbable qu'une personne d'une telle beauté et puissance érotique ("un beau morceau") se trouve par là. Il ne l'aborde pas pour autant (ce que le narrateur met sur le compte du jeune âge), n'en finit pas de objectifier et n'a de cesse de la guetter au tabac, dans ses allées et venues cherchant et trouvant les indices de rapports sexuels qu'elle aurait. Ne sachant communiquer son désir il maîtrise son fils qui se trouve être dans sa classe. Le narrateur oppose à la figure d'Yvonne sa petite amie d'alors décrite comme une personne insignifiante. Non sans naturaliser l'aptitude des femmes à parler entre elles et surtout des hommes (le test de Bechdel n'est pas passé avec succès) qu'elles connaîtraient mieux qu'eux-mêmes. Une scène de sexe en voiture où le narrateur se paye de cette petite amie alors qu'il décrit un rapport hétérosexuel des plus typiques et déprimant (l'homme cis se servant de la femme cis pour jouir, sans communication, visiblement sans trop d'autres pratiques que de pénétration (et que dans un sens, ça va sans dire) etc.). Il faudrait sûrement une seconde lecture pour saisir
Bref, j'ai lu ce bouquin parce qu'il traînait en version folio chez moi, qu'il était court et que j'avais un bon souvenir des Vies minuscules dont le style et le propos (une autobiographie via des portraits où la fiction servait à rendre hommage à des vies "minuscules" et qui prenaient grâce à un style dont je trouve (trouvais ?) la qualité indéniable). En fait ce texte est moins bon que ce premier ouvrage tant au niveau du style (ça prend au début et par moment, il y a un réel talent à ce niveau, et notamment dans certains paragraphes, mais ça se tient moins sur la longueur) que par un propos d'un sexisme bien plus présent que dans les vies minuscules. Je trouve que c'est un style gâché mis au service d'une naturalisation / ancestralisation erronnée de rapports de genre, de formes de désir etc. Je trouve aussi qu'en tant qu'homme, paradoxalement l'auteur ne se met pas beaucoup en danger, en interrogation vis-à-vis de son désir et de ce qu'il en fait.
Le texte fait pensé au texte de Lorde sur l'érotisme. D'un côté une femme dont la puissance dénote, notamment dans une dimension sexuelle. Qui tout à la fois l'assume et en rougit mais en tout cas porte cette charge. De l'autre un homme qui n'est que pur regard, désir comme abstrait, imprécis, désir de captation pour soi, jalousie en puissance. Et surtout un homme qui semble ne pas avoir de corps, ou du moins pas de corps dans l'échange de désir (certes il se décrit comme ayant les avantages de la jeunesse), dans le fait d'assumer sa charge érotique. Bref, pas le type de personnages, et moins encore de personnages masculins cis, que je cherche : taiseux, un brin cynique, désabusé du fait de la pauvreté de ses relations aux autres (mais ça c'est que les femmes qui savent faire apparemment... [ironie]), qui font l'amour comme des pistons, gérant leur frustration et solitude par l'humiliation et le mépris des autres et tout ça sans même se demander pourquoi. Ne surprend pas par rapport à la situation sociale du narrateur comme de l'auteur. Bref c'est dommage, je mets deux étoiles parce que malgré tout le style (au moins dans certains passages).