J'ai l'impression de toujours sortir un peu éprouvée des livres de Nnedi Okorafor, avec des difficultés pour mettre en mots la pluralité des ressentis que leur lecture a provoqués chez moi. J'en ressors bousculée par une écriture directe, brute (voire brutale), où les émotions affleurent et (se) heurtent. Interpellée par sa façon d'aborder de manière frontale des enjeux et des thèmes qui ne laissent pas indifférents. Questionnée sur mon positionnement par rapport à certains personnages... "La Mort de l'auteur" s'inscrit dans cette continuité, mais il est sans doute le roman qui me laisse l'impression la plus marquante parmi les textes que j'ai pu lire de l'autrice.
S'il peut être rapidement présenté comme une fiction sur l'écriture d'un roman, sa réception, son succès, l'ampleur de l'histoire dépasse ce simple synopsis... C'est en fait trois plans narratifs qui se croisent. Des chapitres sont racontés du point de vue de Zelu, une personnage principale, paraplégique, nigériano-étatsunienne, qui devient l'autrice d'un best-steller de science-fiction sur des robots dans un cadre post-apocalyptique. D'autres chapitres mettent justement en scène ces "robots rouillés", dans une Terre post-effondrements de l'humanité où s'affrontent IA désincarnées et androïdes en quête de récit. Enfin, d'autres chapitres encore sont consacrés à des interviews des proches de Zelu, apportant une autre perspective sur le récit.
Il est question d'identité, de quête de soi et de place, d'une recherche d'affirmation. Coincée dans son fauteuil roulant depuis l'enfance suite à un accident, Zelu est en effet constamment enfermée dans une certaine représentation que les autres ont d'elle. C'est le cas dans la manière dont elle est traitée dans sa famille, au sein de laquelle les incompréhensions, les jugements et les clashs se succèdent. Mais, même lorsqu'elle trouve à s'affirmer par l'écriture, lorsqu'elle peut gagner en indépendance financière grâce à son best-steller, elle se retrouve là encore dépouillée de sa voix : suite au auccès, son oeuvre lui échappe, et sa personne même fait face aux jugements et aux exigences d'un public qui projette en elle des attentes qui n'ont rien avoir avec elle. C'est en quelque sorte une histoire d'aliénation qui se renouvelle constamment et de la manière dont Zelu, de façon obstinée, malgré tout, continue à se chercher et à s'affirmer.
Si tout cela offre une histoire solide, ce qui m'a le plus fasciné au sein du roman a été la structure narrative d'ensemble et comment les différents plans narratifs évoluent en parallèle. Au fil des pages, au sein de ce récit fictionnel qu'est le roman, la dichotomie initiale entre le "réel" (le monde de Zelu) et le "fictif" (celui des robots) se trouble. L'écrivaine et ses technologies de plus en plus sophistiquées n'est-elle bien qu'humaine ; l'androïde, sa fascination pour une humaine et ses histoires, n'est-elle que robot ? Un glissement s'opère et Nnedi Okorafor joue avec la réception de son propre lectorat, et ce, jusqu'à un final qui apporte une autre perspective, bouclant la boucle de l'expérimentation littéraire.